On dit souvent que les opposés s’attirent. Mais connaissez-vous la loi psychologique qui explique cela ? Voyons ensemble ce qu’est l’énantiodromie !
De la vie naît la mort, de la mort naît la vie ; de la jeunesse la vieillesse, de la vieillesse la jeunesse ; de la veille le rêve et du rêve la veille. Le flux de création et de destruction ne s’arrête jamais.
Héraclite
C’est Héraclite qui, au Vème siècle avant notre ère, crée ce terme pour rendre compte d’un processus par lequel toute chose finit par devenir son contraire ; oublié pendant des siècles, ce concept est plus tard remis à l’honneur par Jung, pour qui l’énantiodromie s’incarne dans la psyché humaine.
En effet, d’après Jung, quand une personne adopte une posture excessive elle en vient à devenir la chose qu’elle entend combattre ; ce phénomène peut tant à la fois être individuel que collectif. Au delà de ça, l’énantiodromie est, quand elle est conscientisée, le processus initiatique qui permet la résolution des contraires.
L’Énantiodromie négative ou le fait de devenir ce que l’on combat
La tendance à séparer le plus possible les opposés, c’est-à-dire l’effort vers le sens univoque, est absolument nécessaire pour établir une claire conscience, car la discrimination appartient à la nature de cette dernière. Mais lorsque la séparation va si loin que l’opposé complémentaire sort du champ de vision et que l’on n’aperçoit plus le noir dans le blanc, le mal dans le bien, la profondeur dans la hauteur, etc., on parvient à une vision unilatérale qui est compensée par l’inconscient sans notre concours. Ce phénomène se produit en quelque sorte contre notre volonté qui, par suite, s’agite d’une façon toujours plus fanatique pour aboutir finalement à l’énantiodromie catastrophique. La sagesse par contre n’a jamais oublié que les choses ont deux faces : elle saurait donc empêcher de semblables malheurs si elle avait quelque pouvoir. Mais le pouvoir n’est jamais en la possession de la sagesse. Il est toujours placé au centre de l’intérêt collectif et, de ce fait, accompagne toujours la stupidité de «l’homme de la masse»
Carl Gustav Jung, Mysterium Coniunctionis
De nos jours, on constate aisément que les parangons du politiquement correct prônent une tolérance absolue, qui s’exprime pourtant par un rejet total et violent de toute opposition. Il semble ainsi que, de plus en plus, les idéologues agissent d’une certaine manière en prônant un idéal radicalement inverse.
Prenons l’exemple de la gauche politique : lieu de libération dans les prémisses du XXème siècle, creuset de contre-cultures se créant à rebours d’une droite traditionnelle considérée comme répressive, on constate qu’aujourd’hui beaucoup de ses tenants sont devenus, maintenant que la morale semble l’apanage de la gauche, des inquisiteurs bien plus intransigeants que ceux qu’ils disent combattre. Nul n’est à l’abri d’être cancel, vilipendé et haï s’il ne respecte pas à la lettre cette idéologie, idéologie qui toujours se trahit elle-même.
En effet, les idéologies politiques modernes se voulant progressistes, la pensée d’hier a nécessairement un odieux relent de nazisme : Baudelaire critiquait vivement cette idée de progrès. D’après lui, pour les progressistes, ce qui est ancien est obsolète et doit être détruit. Au sein du modernisme s’agglomèrent ainsi peu à peu des idéologies « à la mode » comme le relativisme absolu ou la déconstruction. Cette idéologie tend à un reniement permanent de ce qu’elle a autrefois prôné, les progressistes d’hier devenant les « fachos » d’aujourd’hui.
Ce mode de pensée fanatisé moderne empêche toute forme de fidélité : en effet, adopteriez-vous la pensée woke que vous risqueriez de devenir un ennemi dès lors que vous ne vous conformez pas à la dernière « avancée » idéologique du mouvement : les féministes originelles par exemple, essentialistes et différencialistes, sont désormais des TERF, de « fausses féministes ». Cet état de fait procède de l’énantiodromie ; en effet, toute attitude extrême appelle son opposé : le gauchiste prônant la tolérance et la paix dans le monde agira peu à peu comme un fasciste, et c’est ainsi que l’on voit les intérêts des deux pôles extrêmes converger. Le concept d’appropriation culturelle, qui défend grossièrement qu’une personne non-issue d’une culture ne devrait pas s’en inspirer, est adoré par les néo-fascistes : Ils se servent de cette idée pour s’opposer au métissage culturel, et ils peuvent aussi faire cancel des personnalités de gauche par les militants woke. Les idéologues progressistes deviennent alors les pantins de ceux qu’ils diabolisent.
Toutes les idéologies révolutionnaires tournent sur elles-mêmes (comme leur nom l’indique) et arrivent à l’opposé de ce qu’elles prônent : l’URSS fut le régime le plus meurtrier au monde et ne fit que placer l’état et ses oligarques à la tête de l’économie là où étaient auparavant les grands patrons, remplaçant la caste dirigeante par une autre. De même le mouvement de déconstruction du genre finit irrémédiablement par devenir homophobe voire transphobe : en effet si le genre n’est qu’une construction sociale alors un homosexuel qui ne veut coucher qu’avec des hommes se retrouve coupable de refuser d’avoir une relation avec une personne disposant d’un vagin mais qui s’identifie comme un homme. Sa sexualité et ses sentiments deviennent discriminatoires. De même ne peut-on pas aller plus loin en disant qu’une personne transsexuelle, en décidant de se faire opérer, succombe à l’illusion du genre ? Considérer qu’un homme doive avoir un pénis n’est-ce pas une posture fasciste ?
Au niveau individuel l’énantiodromie s’exprime de la même manière : une personne qui tombe dans des excès de violence et de méchanceté cherchera en fait à camoufler sa grande insécurité intérieure. Et pareillement une personne qui prône une masculinité débridée et sur-viriliste cherchera souvent à combler un manque fantasmé ou réel de virilité.
Un processus initiatique de compensation
J’appelle énantiodromie l’apparition de la contreproposition inconsciente, notamment dans le déroulement temporel. Ce phénomène caractéristique se produit presque toujours lorsqu’une tendance extrêmement unilatérale domine la vie consciente, de sorte que peu à peu il se constitue une attitude opposée tout aussi stable dans l’inconscient : elle se manifeste d’abord par une inhibition du rendement conscient puis interrompra son orientation trop unilatérale
Carl Gustav Jung, Types psychologiques
Nicolas de Cues a développé, au XVème siècle, une pensée très originale à partir de l’idée de l’énantiodromie : la Coincidentia oppositorum, la conjonction des opposés. S’inscrivant dans une démarche mystique il considère que Dieu, mystère des mystères, n’est atteignable que dans la paradoxale union des opposés.
Dieu est les opposés être et non-être en tant que médiation de ce qui est.
Nicolas de Cues, Livre des XXIV philosophes – sentence XIV
On retrouve cette idée de communion des opposés tout au long des siècles dans les traditions mystiques : l’union du haut et du bas, de l’interne et de l’externe, de l’homme et de la femme sont autant de thèmes récurrents. On peut trouver une explication de cette idée dans le fait que la pensée humaine est basée sur le principe de discrimination : être conscient, c’est savoir distinguer une chose d’une autre, le soi de l’alter. Or pour ce faire il nous faut utiliser des catégories, des classifications, et en définitive, ce qui nous permet de comprendre le monde qui nous entoure nous empêche aussi de totalement le percevoir.
Ce paradoxe se retrouve dans l’idée du néo-mystérianisme : nous faisons partie du monde que nous tentons d’observer et de comprendre, et nous sommes intrinsèquement limités par nos caractéristiques innées. Cette idée se retrouve dans le concept de clôture cognitive : certains systèmes cognitifs sont incapables d’accéder à certains aspects du réel. Par exemple, les chats ne peuvent pas percevoir les couleurs et sont donc limités dans leur compréhension du monde visible. De la même manière, les humains sont limités par leur biologie dans leurs capacités cognitives : ils font partie de la nature, et ne peuvent comprendre les phénomènes intégralement puisque leur simple observation les influence.
L’énantiodromie est ainsi un processus qui permet d’atteindre une voie du milieu, et d’éviter de tomber dans les extrêmes déraisonnables : il ne s’agit néanmoins pas de sombrer dans l’idée sophistique que la vérité se trouve toujours dans le milieu, mais de considérer que la sagesse nécessite, dans les domaines qui tiennent de la métaphysique et de la spiritualité et qui sont donc pour le moment étrangers à l’expérimentation, qu’il faille s’éloigner des extrêmes. Ainsi pour atteindre une certaine forme d’unité, et de compréhension du monde par delà les mots et concepts, il faut tenter de procéder à l’union de soi et de l’autre, des processus nescients et conscients.
Cette idée est à rapprocher des koans bouddhistes : dans l’absurdité paradoxale, l’on en vient à dépasser la logique classique et à atteindre un état de contemplation du monde et de soi.
En définitive pourrait-on dire qu’il s’agit de spiritualiser la matière et de matérialiser l’esprit : l’énantiodromie devient, quand elle est conscientisée et s’inscrit dans une posture d’intégration des processus psychiques, le biais par lequel a lieu la coïncidence des contraires. Elle permet l’unification de l’être.
Connaissiez-vous l’énantiodromie ? Qu’en pensez-vous ? Parlons-en en commentaire !
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