Au sein des milieux intellectuels et universitaires, la déconstruction est devenue une mode. Pas un jour ne passe sans qu’un spécialiste des Celtes n’affirme que ce peuple n’existe pas, ou qu’un sexologue ne défende l’idée que le sexe n’est qu’un mythe. Voyons ce qui se cache derrière cette mode !

La déconstruction est « le geste consistant à défaire une réalité instituée. Plus précisément, il s’agit de mettre en évidence la dimension construite, biaisée, de valeurs et de notions qui se présentent habituellement sous les dehors du normal, du naturel, de l’objectif ou de l’universel. (…).»

 Renaud Garcia, « une critique de gauche de la déconstruction »

L’idée de déconstruction s’inscrit dans les courants de pensée dits post-modernes. On considère souvent que le philosophe Français Jacques Derrida est à l’origine de ce courant de pensée : qualifié de « french theory », l’idée de déconstruction visait à l’origine à proposer un mode d’analyse textuel nouveau. Il s’agissait, en s’inspirant de Nietzsche et Heiddeger (tout en dépassant leur pensée), de proposer une nouvelle herméneutique qui s’intéresserait, au delà du seul contenu, à analyser l’analysant, son langage, ses présupposés, dans un mouvement hélicoïdal entre le texte et son lecteur.
Les nouveaux penseurs sont, ainsi, non pas des naturalistes mais des constructivistes : on pourrait dire grossièrement que, tandis que la science et la philosophie traditionnelles reposent sur l’idée que les connaissances humaines se basent, même de façon imparfaite, sur le réel, le constructivisme défend que toutes ne sont que des constructions humaines qui parlent de son expérience et non d’un hypothétique réel. Le constructivisme social fait ainsi de toute vérité un principe relatif à des codes sociaux ou sociétaux ; Gavin Kitching et Edouard Mariyani-Squire défendent l’idée que, bien lin d’être libératrice cette pensée est aliénante. En effet elle repose sur le présupposé que même la Nature est une construction sociale ; ainsi l’individu n’est pas seulement construit mais aussi déterminés par la langue. Ce qui rend paradoxale l’idée que les penseurs constructivistes puissent aller d’une quelconque façon au-delà de ce déterminisme des constructions sociales ; le théoricien, qui se veut pourtant libérateur, devient un genre de dieu qui agit directement sur le non-théoricien en modifiant son mode de pensée. De plus, puisque tout est de l’ordre de la construction intellectuelle ou sociale, alors on tombe dans un relativisme absolu où rien n’est vrai et donc où tout peut l’être : chacun devient le créateur de ses propres codes, de sa propre réalité, ce qui conduit à un certain nombre d’attitudes irréalistes pathologiques. D’où l’idée de déconstruction qui vise à saper toute conception traditionnelle, considérée comme aliénante (y compris l’idée de Nature), pour la remplacer très hypocritement par une autre conception, cette fois politisée.
Il faut ainsi comprendre que LA Science n’existe pas ; ou plutôt la Science n’est ni un Dieu, ni une entité qui prétend définir le réel. La Science représente un ensemble de disciplines, portées par des scientifiques et universitaires avec des avis pluriels, et qui se rattachent à un ensemble de codes expérimentaux communs. Le consensus scientifique n’est pas la Science, puisque ce dernier est susceptible de changer, d’être influencé par des lobbies ou entités politiques ou économiques. De même, toute science s’intègre dans un paradigme, si ce n’est métaphysique, du moins philosophique : tandis que les naturalistes entendent définir ce qu’est le réel, les constructivistes remettent en question l’idée même de réalité, au risque de nous plonger dans le relativisme ou le solipsisme, c’est à dire dans un obscurantisme encore pire que celui contre lequel ils prétendent lutter. L’invalidation de l’idée de réel est, à mon sens, la condamnation à moyen terme de toute démarche scientifique.
La pensée post-moderne est, comme nous allons le voir, une incarnation du rejet de toute forme d’altérité ou de fatalité : c’est une attitude prométhéenne qui entend, grossièrement, faire de l’homme le dieu de sa propre réalité construite.

Dans le présent article nous allons analyser deux dimensions de la déconstruction : son versant artistique et son aspect politique, en les mettant en parallèle de leurs implications psychologiques.

La déconstruction ou le néant

Tout dans notre société contemporaine semble tendre à cette remise en question radicale des conceptions, règles et valeurs. S’il est nécessaire, comme nous l’avons vu, de faire montre de remise en question dans le domaine de la pensée, la démarche contemporaine semble plus tenir de la mode que de la démarche proprement scientifique. En effet, la Science a très rapidement admis qu’il était nécessaire de mettre à la poubelle les anciennes croyances pour tendre vers la vérité ; ce faisant, elle se conçoit non comme une nouvelle religion mais, au contraire, comme un processus intrinsèquement imparfait et qui n’atteindra jamais son but. Or toute technique érigée en loi devient une doctrine : le relativisme absolu s’auto-détruit en ceci que, se plaçant lui-même en absolu, il invalide sa propre idée. Il en va de même de l’idée de déconstruction : si elle doit être appliquée à tout comme une loi universelle, alors elle-même doit-être remise en question et déconstruite.
Aujourd’hui, on utilise le sophisme pour justifier que tout doit être annihilé dans ses fondements : on prend des détails d’une réalité. Par exemple, on va dire que le paganisme n’a pas la structure du christianisme : ce n’est pas un culte aussi organisé, avec un système de croyances précis et absolu, un dirigeant suprême, etc. Suivant cette constatation, qui devrait logiquement conduire à une redéfinition du concept de religion ou à un débat quant à l’histoire des cultes religieux, on va prôner l’inexistence absolue d’une religion pré-chrétienne. De même, puisque la mode du bleu pour les garçons et du rose pour les filles date des années 50 et visait à vendre des vêtements pour bébés aux parents (auparavant les habits de bébés étaient unisexe, et le rouge et le rose étaient éminemment masculins tandis que le bleu était féminin) alors le genre est une construction sociale et une femme peut avoir un pénis.

Dans le domaine de l’Art comme dans celui des Sciences, on voit que l’on tend à remettre en question les grands principes traditionnels : ici, le Beau. Le courant dit de l’« Art contemporain » s’inscrit dans cette idée : c’est désormais l’artiste qui fait l’Art, et non la qualité technique ou émotionnelle de l’œuvre. Qu’il s’agisse d’excréments, d’un carré blanc sur fond blanc, la production artistique ne se justifie plus que par le discours onaniste de son auteur : Franck Lepage défend l’idée que cette forme d’Art, au delà de viser à déconstruire et les cultures nationales, est en fait une appropriation par le Grand Capital : en effet l’Art était autrefois régi par une certaine forme de consensus. Une réalisation artistique devenait mythique en ceci que la technique épousait la charge émotionnelle propre à l’œuvre ; or cela empêchait la spéculation économique puisque le Beau était à la base de la reconnaissance d’une œuvre et répondait à un certain nombre de codes traditionnels (harmonie des traits, cohérence de la composition, des couleurs, valeurs et aboutissement technique etc). L’Art désormais se voudra « ludique » ou dénonciateur : comprenez par là qu’il s’agira soit de faire des œuvres interactives avec des couleurs vives qui rappellent les jouets pour les enfants de 2 à 4 ans, ou de pondre avec son vagin des œufs remplis de peinture.
En remettant en cause les fondements mêmes du Beau, on obtient une forme de production culturelle qui n’a plus à se soucier de la formation technique de ses auteurs, des codes et spécificités culturelles ou même de la réception populaire : au contraire moins quelque chose ressemble à de l’Art, plus cette chose sera adulée par des spécialistes auto-proclamés. Ceci à la fois par mépris de la populace et complexe de supériorité, le bas peuple n’ayant pas les « référents culturels » pour comprendre, mais aussi pour soucis économique : l’art contemporain est ainsi un moyen de faire de l’argent rapidement en spéculant sur des œuvres comme on spécule sur des produits boursiers en profitant des allégements ou exemptions fiscales spécifiques aux productions artistiques. La déconstruction permet aussi au Grand Capital de dépouiller l’univers mental de nos contemporains de tout repère, non dans un postulat philosophique, mais pour créer une angoisse, un vide, qu’il convient de combler par des achats compulsifs. Le besoin est créé par le manque, manque issu du désenchantement du monde.
Ce terme d’« art contemporain » est d’autant plus problématique qu’il assimile dans le même tout l’art actuel avec la posture déconstructiviste : il y a de nos jours des artistes brillants, qui savent être avant-gardiste en cassant certains codes tout en sachant faire montre d’une grande compétence technique. De même y a-t-il de merveilleuses écoles d’Art de nos jours qui apprennent à devenir un véritable artiste ; je citerai aussi l’Institute of Traditional Architecture, qui promeut le retour à une forme traditionnelle d’esthétisme dans le milieu urbain.

La beauté en effet n’est pas si subjective que leurs penseurs contemporains voudraient bien le laisser penser : si effectivement certaines choses peuvent nous toucher plus que d’autres, le philosophe Roger Scruton explique au contraire que le Beau répond intrinsèquement à un certain nombre de caractéristiques qui peuvent être repérées. Le goût est ainsi affaire d’éducation, il se raffine et se développe ; le psychologue David Halpern a ainsi prouvé qu’il existait une « design disconnect » entre les universitaires et spécialistes de l’architecture, et le peuple. Les bâtiments considérés comme sublimes par les premiers sont ceux que les seconds détestent le plus : cette influence du concept, et généralement de la pensée universitaire déconstructiviste sur les étudiants, se retrouve dans tous les domaines.
L’idée n’est pas d’être réactionnaire : le réactionnaire, en effet, n’est jamais qu’un esclave du progressisme puisqu’il se définit entièrement à rebours de lui. Il s’agit plutôt de prôner un véritable avant-gardisme qui s’inspire des formes historiques et locales tout en utilisant les nouvelles avancées technologiques pour transcender et renouveler les codes anciens. Ainsi on peut imaginer, au lieu de tailler des pierres à la main et d’assembler les bâtiments avec des méthodes du moyen âge ou de faire des bâtiments en parpaings imitant des immeubles classiques comme dans un parc d’attraction, une nouvelle ère d’architecture qui, à l’image de la Familia Sagrada, vise à dépasser les anciennes limitations architecturales tout en conservant une linguistique de l’art. Ainsi pourrait-on imaginer une architecture parisienne inspirée des styles Haussmannien et Belle Epoque, utilisant des toits végétaux, des techniques nouvelles (par exemple l’impression 3D de bâtiments) et des matériaux écologiques (BTC, béton organique) tout en s’intégrant avec maestria au sein d’ensembles traditionnels.

Cette politique de sape des cultures et bases de la pensée humaine va de pair donc avec une forme agressive de mondialisation : les universitaires deviennent ainsi les figures de proue d’une post-culture unique et mondiale. On peut se demander si la médiocrité croissante des universitaires et chefs de chaire ne tient pas dans ce que les anciens professeurs, souvent responsables de l’élection de leurs successeurs, ne choisissent pas sciemment d’élire à leur place une personne de faible talent de peur d’être surpassés par leurs successeurs ; joignez à cela la domination exclusive d’une pensée idéologique agressive (alors que tout lieu d’apprentissage, pour ne pas devenir une secte qui avilit l’homme, devrait être parfaitement neutre politiquement et idéologiquement), et vous avez une première explication sociale de cet état de la mentalité universitaire.

Aspiration au zéro et haine de soi

Néanmoins, on peut aussi se demander s’il n’y a pas derrière cette mentalité quelque chose de proprement pathologique : la psychanalyse parle du Principe de Nirvana. Il s’agit d’une tendance de la psyché à rechercher sa propre annihilation, et à tendre au néant, à la cessation de toute activité externe ou interne. Il s’agit d’une incarnation d’une volonté suicidaire non-agie : quand un sujet ressent un profond vide, tant au niveau de son identité, que de son rapport au monde et aux autres, il peut prendre plusieurs voies s’il ne tente pas de se soigner.
L’une est celle, malheureusement, du suicide. La souffrance métaphysique est telle que le sujet ne peut plus supporter d’endurer le poids du monde et de sa propre personne.
Il peut sinon intégrer cette pulsion et la transformer en une posture intellectuelle : c’est une forme d’intériorisation éminemment malsaine puisqu’elle n’entend pas guérir de la destructivité, mais la retourner contre l’objet, c’est à dire contre le monde et les autres. Plutôt que de sublimer sa souffrance en la commuant en une aspiration à un état spirituel de non-différenciation, le sujet va tenter de détruire les causes fantasmées de sa souffrance. Le monde semblant, du fait de son état intérieur, dénué de beauté, de sens, il va projeter sur ce dernier ses propres insécurités : cherchant à revaloriser son narcissisme blessé, il va paradoxalement se faire encore plus de mal en faisant gonfler sa misanthropie.

C’est pour cela qu’on constate un tel snobisme au sein des amateurs d’Art contemporain ou de pensée déconstruite ; c’est aussi pour cela qu’on les voit adopter un langage spécieux et masturbatoire. La masturbation étant l’activité la plus tournée vers soi-même et son propre plaisir, l’activité de déconstruction, qu’elle soit artistique ou universitaire, procède d’une forme de perversité et de sado-masochisme. C’est aussi pour cela que l’art contemporain tend à utiliser de façon récurrente les excréments, le sexe, les orifices, les barbouillages infantiles, et généralement tout ce qui se rattache au lexique du laid, du dérangeant, de l’ordure.

L’incarnation de cette pulsion de mort est une société du vide : la cancel culture n’est finalement que l’expression culturelle d’une réalité psychologique. Les personnes qui portent ce mouvement souffrent d’une profonde haine d’eux-mêmes : ils adoptent une posture idéologique qui est paradoxalement totalement en leur défaveur.
Ils prônent la tolérance tout en agissant comme des membres de l’inquisition. Ils affirment qu’il faut aimer les autres et chérir la différence mais considèrent que toute pensée autre que la leur mérite au mieux l’enfermement, au pire la mort. Le néo-antiracisme est mué en haine de soi, quitte à ce que la définition même du racisme soit changée pour camoufler l’hypocrisie de cette démarche : en effet si le racisme est normalement « la haine d’une personne du fait de son origine ou de ses caractères » ou la « discrimination, hostilité violente envers un groupe humain. » (dictionnaire le Robert en ligne), dans la bouche des penseurs wokes il est réduit au seul « racisme systémique », c’est à dire un complot d’un état voire d’un peuple contre un type de population. Une population considérée comme opprimée ne pourra ainsi jamais faire preuve de racisme, et une population considérée comme l’oppresseuse ne pourra jamais en être victime.
Ils semblent entièrement mus par l’énantiodromie. Cela n’est pas sans rappeler la crise d’adolescence, et pour cause : dans l’idéologie déconstructiviste, tout semble rappeler la puberté. La crise vécue par l’adolescent qui peu à peu détruit l’image idéalisée de ses parents et du monde, qui abandonne ses rêves et son univers imaginaire d’enfant, semble s’incarner dans la posture militante woke : c’est au monde de se plier aux désirs du militant. Si quelque chose fait souffrir quelqu’un, il faut l’interdire. Si je me sens mal à cause de mon poids, c’est que le concept même de corps sain doit disparaitre. Je peux être ce que je veux, faire ce que je veux et tout doit m’être accordé, car tout m’est dû ; pire que cela, il faut adopter une posture vindicative puisque le monde, les autres, sont des oppresseurs qui m’ont dépouillé de mes droits naturels.

« L’attitude constructiviste consiste à penser que l’on peut « construire » une société selon ses propres vœux, qu’on peut la conduire comme on le ferait d’une quelconque machine. (…) Or, il n’est pas excessif de dire qu’en France, tout au moins dans l’univers politique, pratiquement tout le monde est constructiviste. Selon ses humeurs, ses préjugés, son niveau d’information ou le sens de ses propres intérêts, chacun s’efforcera soit de maintenir ce qui existe, soit au contraire de le modifier d’une manière plus conforme à ses propres souhaits. (…) Il en résulte évidemment une extrême politisation de la vie que traduit fortement le fameux thème du « tout est politique ». Or, rien n’est politique par nature, mais tout le devient dès lors que l’approche constructiviste est dominante. »

Pascal Salin, Libéralisme

La patriarcat, l’homme blanc cis-hétéro, le Système, etc. sont autant de figures comparables pour l’adolescent au parent oppresseur, et pour le conspirationniste au reptilien. On voit les militants s’opposer à l’Etat de la même manière qu’un adolescent en crise qui crierait « t’es pas mon père », « j’ai jamais demandé à exister » ou encore « c’est pas une phase, c’est ce que je suis, tu ne comprends rien ! ».
En fin de compte, cette généralisation de la pensée déconstructiviste, au sein des milieux intellectuels, est l’expression d’un mal-être généralisé : notre civilisation traverse une sorte d’adolescence prométhéenne, où tout est affaire de faute et de réparation. La mort est un affront et les réalités biologiques sont injustes.

Face à cela, il convient d’adopter une posture détachée, de ne pas juger ou jeter l’anathème puisque cela reviendrait à alimenter leur haine, et de comprendre que ces personnes sont surtout malades, et sont utilisées dans le cadre de projets politiques qui les dépassent.


Et vous, que pensez-vous du principe actuel de déconstruction ? Débattons-en en commentaire !

Si vous ressentez de l’angoisse voire du désespoir face à l’état actuel du monde, n’hésitez pas à me contacter pour que nous convenions d’un rendez-vous : je serais heureux de vous aider !

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