On entend souvent parler de l’Amour, soit pour le dénigrer, soit pour en faire un concept cul-cul. Dans cet article nous allons l’étudier dans une optique psychanalytique via les concepts d’Anima et Animus.

Je précise ici que si je me base sur la vision jungienne, ma vision est personnelle et je me sépare de certaines interprétations de l’école Jungienne sur certains points ; il s’agit avant tout d’un outil de développement personnel et pas un paradigme scientifique.

Anima et Animus : le remède au Complexe de l’Androgyne

Le Complexe de l’Androgyne est à la fois la crise et le processus qui nous pousse à chercher l’union avec notre moitié. Selon ma conception, la vie serait symboliquement une quête pour devenir ce que l’on est par le truchement de l’Amour.

Mais comment fonctionne ce processus ? Il faut d’abord comprendre que nous sommes symboliquement scindés en deux parts : notre individualité qui est notre intériorité, et la personnalité notre extériorisation. Or si la personnalité est majoritairement du domaine de la conscience, l’individualité ne l’est pas.

Anima et Animus : femme se dénudant

Jung affirme que notre nature serait androgyne : grossièrement nous pourrions dire que si consciemment nous sommes de notre sexe physique, inconsciemment nous serions du sexe complémentaire. Ainsi l’homme disposerait d’une Anima, et la femme d’un Animus. L’Anima comme l’Animus s’incarneraient dans différents archétypes comme par exemple la Mère ou l’Amante, le Primitif ou le Séducteur.

Je m’écarte de la vision proprement Jungienne en ceci que je considère que notre moitié réelle est le miroir de notre moitié psychique : puisque nous ne pouvons qu’incarner notre sexe de naissance, alors pour atteindre la totalité psychique et comprendre l’altérité qui est en nous, il nous faut chercher à voir dans l’autre non une projection de nous-même, mais un biais d’accéder à notre véritable Soi.
L’homme est ainsi l’individualité de la femme, la femme celle de l’homme ; nous agissons extérieurement comme personne, intérieurement comme individu, et notre conjoint est alors le moyen pour nous, par un travail permanent sur notre être, d’accéder à nous-même.

De même que l’homme laisse sourdre son œuvre, telle une créature dans sa totalité, à partir de son monde intérieur féminin, de même le monde intérieur masculin de la femme apporte des germes créateurs qui sont en état de faire fructifier le côté féminin de l’homme.

C.G. Jung, Dialectique du moi et de l’inconscient

Les Archétypes de l’Anima et de l’Animus

Là où je me sépare aussi de la vision jungienne c’est que selon lui, les archétypes liés à ces deux concepts seraient hiérarchisés : tout en bas se retrouveraient des archétypes primitifs liés à la sexualité et à la matière (grossièrement la femme fécondée et l’homme fécondeur) et en haut les archétypes liés à la sublimation (la femme et l’homme divins et sages).
Selon moi cette conception procède d’une vision dualiste voire encratique où la matière est inférieure à l’esprit ; il me semble que cette idée est récente et d’inspiration judéo-chrétienne, et qu’elle ne recouvre pas la réalité plus profonde de la psyché humaine.
De plus, selon cette conception, tandis que l’Anima serait à l’origine des changements d’humeur chez l’homme, l’Animus serait la cause des opinions chez la femme. Je trouve là encore cette conception assez caricaturale puisqu’elle résume la femme aux sautes d’humeurs et aux émotions irrationnelles, voire à la matière et à l’inconscience, et l’homme à l’opinion, au leadership et à l’esprit conscient.
Je dirais donc plutôt que l’Anima pousse à la relation, tandis que l’Animus conduit à la création et à l’action : une étude récente tendrait en effet à prouver que neurologiquement les femmes seraient meilleures en matière de compétences sociales et de mémoire, tandis que les cerveaux des hommes seraient orientés vers une meilleure perception et coordination des actions.

Je propose (tout en considérant que cette liste n’est pas absolue) une conception différente des archétypes de l’Anima et de l’Animus, selon des degrés de féminité et de masculinité. Il ne s’agit plus d’une échelle à proprement parler mais de représentations différentes, de personnages (héros, divinités et monstres) qui agissent en nous et qu’on peut rencontrer dans nos rêves et notre imaginaire, et qui influencent nos pensées et actions.

La polarité féminine est horizontale et relationnelle, et s’étend de l’allocentrisme à l’égocentrisme. L’Anima s’incarnerait ainsi dans :

  1. L’Exploratrice : cet archétype est celui de la recherche de l’inconnu, de l’exploration de ses émotions et désirs. L’exploratrice est toute entière tournée vers la quête d’elle-même sans renier l’autre. Athéna, Jeanne d’Arc, Boadicée et toutes les femmes découvreuses et guerrières se rattachent à cet archétype.
    Quand cet archétype nous domine, l’exploratrice devient Virago : La virago agit comme un homme, et renie sa féminité puisqu’elle cherche à devenir ce qu’elle n’est pas, devenant donc une imitation d’une masculinité caricaturale ; il s’agit d’une recherche de soi où l’autre est nié et où donc on se perd aussi soi-même. Les amazones et toutes les femmes masculines sont liées à cette idée.
  2. L’Amante : c’est l’image de la séductrice et de la sexualité féminine ; il s’agit de l’orientation de la psyché vers le rattachement à un autre sans soumission ni reniement de soi. On pourra citer Aphrodite, Freyja et toutes les femmes écarlates des mythes.
    Quand cet archétype nous domine, l’amante devient Hétaïre, c’est à dire la femme tellement féminine qu’elle se nie. La courtisane vit par ou pour l’autre. Les femmes de mauvaise vie et tous les personnages féminins entièrement pulsionnels sont sous le patronage de cet archétype.
  3. La Mère : archétype de la nourricière, de la donneuse de vie. Il s’agit d’une posture d’accomplissement de soi par la création d’un autre. Héra, Frigg et toutes les mères des contes et légendes se rattachent à cet archétype.
    L’aspect négatif de cet archétype est la Sorcière : il s’agit de toutes les mauvaises mères, les tueuses d’enfants, les mères incestueuses et malsaines, les belles-mères des contes.
  4. La Reine : il s’agit de la femme en tant que gouvernante, rectrice du foyer, dirigeante du pays. Respectant un certain nombre d’obligations et de règles, il s’agit d’une posture sur et par l’autre. Sol, la reine Elizabeth et toutes les dirigeantes mythiques procèdent de cet archétype.
    L’ombre de cet archétype est la Tyranne : dévoratrice et malsaine, elle est tyrannique, une vénus à la fourrure, une entité courroucée et toute-puissante qui doit être obéie.

Les éléments du monde intérieur nous influencent subjectivement de façon d’autant plus puissante qu’ils sont inconscients ; aussi, pour quiconque est désireux d’accomplir un progrès dans sa propre culture (et n’est-ce pas chez l’individu isolé que la culture commence ?), est-il indispensable d’objectiver en lui les efficacités de l’anima, afin de tenter de découvrir quels sont les contenus psychiques à l’origine des efficiences mystérieuses de l’âme. De la sorte, le sujet acquerra adaptation et protection contre les puissances invisibles qui vivent en lui.

C.G. Jung, Dialectique du moi et de l’inconscient

La polarité masculine est verticale et génératrice, se déployant de la matière à l’esprit, de l’incarnation à la sublimation. L’Animus s’incarne ainsi dans :

  1. Le Créateur : il s’agit du scientifique ou du séducteur et de l’esthète. Centré sur l’esprit il n’en oublie pas son corps, même s’il ne s’agit pas de son domaine privilégié. On peut citer Héphaïstos, Heimdall et tous les personnages inventeurs et créateurs.
    Quand le Créateur nous domine, il devient Gynoïde : plus faible degré de masculinité, il renie sa masculinité en singeant la caricature qu’il se fait de la féminité. Il est tellement obsédé par les concepts et l’esprit qu’il tombe dans l’irréalisme et les pensées spécieuses. Il s’agit du Trickster, de Loki, Méphistophélès et des personnages ambivalents et trompeurs qui se perdent dans la virtualité et leurs propres mensonges.
  2. Le Général : c’est l’homme en tant que guerrier, général, et leader. Il est l’équilibre entre corps et esprit. On pourra citer Mars, Thor, Perun et tous les héros rusés et courageux.
    Quand le général nous domine, il devient l’Hydre : il s’agit de l’archétype du criminel de guerre, du dictateur, du tortionnaire. Tamerlan, Staline, le Grand Dragon et tous les ennemis archétypaux sont des incarnations de ce principe.
  3. Le Jouisseur : homme de la matière, il est le jouisseur, l’ouvrier le père et l’hédoniste. Dionysos, Pan, Cernunnos, et tous les personnages bon vivants procèdent de cet archétype.
    Le mauvais aspect du jouisseur est la Brute : c’est l’homme qui se nie lui-même par une sur-virilité, en rejetant tout raffinement et tout raisonnement. Niant toute forme d’intériorité et de réflexion comme des activités féminines et donc méprisables, il devient un animal et nie sa propre masculinité. On pourra citer les Ogres, les géants, la bête du Gévaudan etc.

La femme doit veiller sur son animus, sur sa nature. Si elle prend conscience de ses aspects négatifs et de l’influence qu’il exerce sur elle, elle peut affronter sa réalité au lieu d’en être possédée. L’animus devient alors un compagnon intérieur qui transmet les qualités masculines d’initiative, de courage, d’objectivité et de sagesse spirituelle.

Eliane Jung-Fliegans, Violence au féminin et sexualité

L’Hiérogamie comme modèle de vie

Anima et Animus : couple peinturluré d'or et de paillettes qui s'embrasse

Les archétypes interagissent entre eux : on peut voir par exemple que l’Amante et la Mère se compensent mutuellement, comme le font la Reine et l’Exploratrice ; c’est ainsi que l’Amante qui ne devient jamais Mère risque de sombrer dans l’Hétaïre, et que l’Exploratrice qui ne fonde pas son Royaume deviendra une Virago. Concrètement cela veut dire qu’un homme attiré par un art devra l’apprivoiser, travailler à le maîtriser puis produire une œuvre, passant ainsi de l’Amante à la Mère, s’il ne veut pas tomber dans la pulsionnalité et aller de passion en passion sans jamais rien accomplir (archétype de l’Hétaïre). Il en va de même s’il ne veut pas sombrer, par manque de travail, dans la production d’œuvres médiocres ou inabouties (archétype de la Sorcière).
Prenons d’autres exemples pour illustrer le fonctionnement de l’Anima et de l’Animus : un homme qui cherchera sans arrêt l’approbation d’autrui, l’amour des autres et qui se vautrera dans des comportements serviles face à des figures d’autorité sera sous l’influence de l’Hétaïre. Il devra donc sublimer cela : il lui faudra développer l’archétype de l’Amante, et pour ce faire, il devra développer ses talents de séducteur. En effet on ne parvient jamais à séduire en se montrant servile ; il constatera ainsi, par le truchement de la relation amoureuse, que son mode de compréhension des rapports humains est maladif.
Pareillement, imaginons une femme qui a tendance à manipuler, mentir et poignarder dans le dos toute personne qui s’oppose à ses désirs et à son avancement professionnel ; qui aime s’adonner à la moquerie ou à la médisance. Elle sera dominée par l’aspect négatif du Créateur, le Gynoïde. En cherchant à utiliser ce raffinement intellectuel elle pourra au contraire tendre à l’aspect positif de ce même archétype.
Elle deviendra, utilisant les archétypes de l’Animus plutôt qu’étant dominée par eux, une Femme complète, comme l’idée de Femme Sauvage que défend Clarissa Pincola Estès. Il en va de même pour l’homme qui atteindra le sommet de sa maturation psychique par la relation intime avec son Anima ; ces deux processus, que sont l’initiation féminine et masculine, ne se peuvent concevoir qu’en couple. Le développement personnel de l’un n’est possible qu’en parallèle à celui de l’autre : l’homme fait de la femme une mère, la femme fait de l’homme un père. Et de la même manière nos psychés interagissent sans qu’on en ait toujours conscience : la Reine s’entiche par exemple souvent du Jouisseur, car tous deux se compensent mutuellement.

Ces archétypes sont tout à la fois les personnages qu’incarnent les hommes et les femmes dans leur vie de tous les jours, que les processus inconscients qui se jouent en eux. Ils permettent aussi de comprendre que la masculinité et la féminité ne sont pas des concepts binaires mais qu’ils se déploient selon différentes modalités et degrés non hiérarchiques. Giacomo Casanova, séducteur raffiné, est tout autant un homme qu’Alexandre le Grand ; la princesse et pirate Æthelflæd est tout autant une femme que la poétesse Madeleine Des Roches.
Cette conception n’est en effet qu’un support symbolique de développement personnel, et pas une échelle de valeur : s’il faut nous garder de tendre aux extrêmes, véritables Charybde et Scylla comportementaux, il ne faut pas prendre ces archétypes comme prétextes pour juger autrui.

La misogynie comme la misandrie sont normalement des étapes temporaires liées au développement identitaire des enfants ; les enfants vont être « dégoûtés » par le sexe opposé au fur et à mesure qu’ils perçoivent les différences homme-femme. La perduration ou le retour de cette attitude à l’âge adulte est la marque d’une souffrance intérieure probablement liée en partie à un problème dans le développement identitaire ; c’est la même constatation pour les personnes qui disent haïr les enfants. Les adolescents ont souvent un certain mépris affiché pour les enfants car ils représentent l’étape de développement qu’ils viennent de quitter ; voulant être considérés comme des adultes, ils en viennent à rejeter l’enfance comme un stade de développement immature et méprisable.
L’autre n’est ni une extension de nous, ni une possession, et encore moins l’incarnation de nos fantasmes ; souvent un enfant dont les parents furent trop durs et perfectionnistes projettera sur l’autre ce comportement. Ce faisant il sera d’une incroyable intransigeance, cherchant l’affrontement, prenant les défauts de l’autre pour des insultes personnelles ; cela résultera paradoxalement dans le célèbre « complexe du sauveur » qui, sous couvert d’abnégation, cherchera en fait à « réparer » l’autre. Cette « réparation » consiste en fait à faire de l’autre une projection de nos propres désirs et insécurités. L’intérêt symbolique de se concevoir comme un inconnu à nous même que l’autre peut nous aider à découvrir, c’est de considérer que l’altérité est indispensable à notre développement. C’est parce que l’autre est différent que nous pouvons grandir grâce à son regard.

Je reproche à la conception jungienne de penser l’homme selon une conception existentialiste, comme s’il était seul (en grossissant le trait). Or nous ne le sommes jamais. Même en nous il existe une profonde altérité, un lieu que nous ne pouvons connaître sans une exploration difficile et parfois terrifiante ; l’autre, qu’il s’incarne dans le monde, dans nos ennemis ou nos amis, ou encore dans notre conjoint ou nos enfants, est indispensable à la compréhension du réel. Ainsi tandis que Jung parle d’Individuation, je parle de Singularisation : pour moi tendre à l’individualité est une posture extrême de déni de l’autre, tandis qu’une démarche saine consiste à rester dans une voie médiane entre individualité et personnalité.
La Singularisation (du proto-indo-européen *sem-« un, unité, union, ensemble ») désigne justement la résolution du complexe de l’Androgyne par l’union sans confusion de deux êtres qui se découvrent eux-mêmes par le truchement de leur moitié.
L’Hieros gamos ou Hiérogamie désigne une union/un mariage sacré. Dans les cultes païens, il existait de nombreux rites sexuels qui reproduisaient l’amour de deux divinités. Il existe en effet comme nous l’avons vu un parallèle entre la vie de couple et de famille et le processus de découverte de soi par l’intégration des archétypes. S’unir à soi-même n’a de sens qu’au sein d’une démarche amoureuse qui intègre l’autre dans cet accouplement : tout comme un couple donne la vie par le sexe, un homme par son existence peut accoucher de sa propre personne par l’amour.

La découverte des parts cachées et profondes de notre être est une démarche initiatique qui passe par l’union des contraires, de moi et de l’autre, du sujet de l’objet, de l’esprit et de la matière, de l’interne et de l’externe, de la femme et de l’homme.


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Si vous voulez travailler sur l’Anima et l’Animus prenez rendez-vous avec moi dès aujourd’hui !

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