On dit souvent que si Bouddha ou le Christ revenaient aujourd’hui, ils seraient internés. Ce n’est pas faux : on réduit souvent de nos jours la mystique à une forme de folie. Dans cet article nous allons voir comment le concept de Monde Imaginal (ou Mundus Imaginalis) peut résoudre le problème épineux du mysticisme et des profondeurs de l’âme humaine.

Jung, par son concept d’Inconscient Collectif, a voulu redonner à l’idée de profondeur de la Psyché sa valeur de lieu du spirituel ; si certains lui ont reproché de donner un vernis de respectabilité à la pensée magique, aux divinités païennes et aux fantasmes, sa démarche s’inscrivait surtout dans une vision globale de l’expérience humaine. De tous temps et en tous lieux l’homme a expérimenté des épiphanies, des contacts avec l’étrange et le merveilleux, le terrifiant et le transcendant. Qualifier de pathologie mentale tout vécu mystique semble fallacieux ; de même tomber dans l’extrême inverse et croire à la réalité tangible d’un « autre monde », d’un autre plan, d’un monde parallèle magique etc. est aussi problématique. C’est là que le concept de monde imaginal prend tout son intérêt.
Cet article n’a en effet pas vocation à propager des conceptions spirituelles, à légitimer des pratiques religieuses ou magiques, mais simplement à ouvrir la voie vers une réflexion de l’idée du Symbole, des rapports entre intériorité et vécu mystique ; je précise aussi ici que le but du présent blog n’est pas de donner une vision exhaustive des concepts dont je parle mais de les vulgariser pour donner l’envie au lecteur de se renseigner à leur sujet.

Le mystique vogue dans les mêmes eaux dans lesquelles le fou se noie… mais que sont ces eaux ? Quel est cet arrière-monde que semblent connaître, par-delà la diversité de ses formes, les mystiques de tous les peuples ? Voyons cela ensemble !

Le Monde Imaginal : le monde médian

La fonction du mundus imaginalis et des Formes imaginales se définit par leur situation médiane et médiatrice entre le monde intelligible et le monde sensible. D’une part, elle immatérialise les Formes sensibles, d’autre part, elle « imaginalise » les formes intelligibles auxquelles elle donne figure et dimension. Le monde imaginal symbolise d’une part avec les Formes sensibles, d’autre part avec les Formes intelligibles. C’est cette situation médiane qui d’emblée impose à la puissance imaginative une discipline impensable là où elle s’est dégradée en « fantaisie », ne secrétant que de l’imaginaire, de l’irréel, et capable de tous les dévergondages. C’est toute la différence que connaissait et marquait déjà fort bien Paracelse entre l’Imaginatio vera (la vraie Imagination, l’Imagination au sens vrai) et la Phantasey.

Henry Corbin, Corps spirituel et Terre céleste

C’est Henri Corbin, philosophe et orientaliste spécialiste de la mystique chiite, qui développera ce concept ; dans son idée, le monde imaginal est le médiateur, le milieu, entre le domaine de l’intellect, et du percept. Ma conception du Symbole reprend la même idée : ce dernier est le troisième tiers entre signifié et signifiant, intelligible et sensible. Ainsi, si pour Corbin le Monde Imaginal correspond à ce « lieu », cet intermonde où progresse le Mystique : c’est le domaine de la théophanie, des apparitions divines et des révélations.
Corbin le distingue du domaine du fantasme (et de l’imaginaire dans sa définition moderne de rêverie) ; sur ce point j’apporterais une précision. En effet, l’Imagination Active comme le Fantasme procèdent du même domaine, qui est celui du Symbole, et en dernière analyse, du Monde Imaginal. Pourtant, tandis que le premier est du domaine de l’expérience, le second se résume plutôt au mieux à une fabrication consciente de l’esprit, au pire à un irréalisme pathologique.

Le Monde Imaginal n’est pas un monde parallèle, ou un lieu magique ; il s’agit d’un domaine expérienciel, d’un régime ontologique. Le monde du mystique est ici. Il n’est ni dans le ciel, ni dans les profondeurs de la terre. Ce qui différencie le visionnaire de l’homme du commun, c’est qu’il est en contact avec le monde du Symbole : il faut en effet comprendre que pour le mystique il n’y a pas de différence entre les profondeurs de la psyché et les hauteurs du ciel, entre interne et externe. Toutes ces distinctions ne sont que des questions de point de vue : notre esprit hallucine le monde, aussi ne vit-on pas dans le Réel, mais dans une projection de celui-ci. De même, l’histoire de la pensée rationnelle est récente : jusqu’aux progrès des sciences rendus notamment possibles par le déploiement de l’imprimerie, l’homme vivait au sein d’un univers étrange.
Quand on lit les écrits scientifiques de Galien ou d’Ambroise Paré, on remarque combien science et magie, alchimie et médecine, sont intimement liés. La pensée symbolique, basée sur le principe d’analogie et de correspondances, est plus ancienne que la raison contemporaine : ainsi on voyait dans la noix, à cause de sa forme ressemblant à celle d’un cerveau, un remède pour les problèmes de ce dernier. On croyait que les femmes qui n’avaient pas assez de rapports sexuels ou n’avaient pas eu d’enfants pouvaient faire des crises d’hystéries, parce que leur utérus se gonflait et voyageait dans leur corps. On imaginait que le corps était régi par de complexes interactions entre les astres et saisons, éléments et organes, selon une harmonie entre le microcosme et le macrocosme, ce qui est en haut » étant comme « ce qui est en bas ».

Ainsi ne faut-il pas voir ces trois domaines que sont le sensible, le symbolique (ou imaginal) et l’intelligible comme trois « mondes » séparés : ce sont trois angles par lesquels aborder la même réalité. Le monde imaginal est ainsi en un sens la structuration éminemment mythologique et sacrée de la psyché humaine.

L’imaginal entre profondeur de l’homme et faîte des cieux

La pensée rationaliste et scientifique contemporaine, tout en nous apportant les merveilles des progrès techniques, a aussi provoqué le désenchantement du monde. En effet, tandis que l’homme traditionnel trouvait des Mystères partout où son regard se pouvait porter, l’homme d’aujourd’hui croit tout savoir, et plus rien n’est pour lui une raison d’émerveillement. En lieu et place de l’adoration du monde comme une Icone de puissances invisibles et mystérieuses, il se tourne vers les mondes artificiels, la fuite en avant dans le consumérisme, et l’adoration de célébrités ; tout est devenu un émollient pour cesser de s’interroger sur la vacuité du monde.

Il semble que l’Âme du monde ait disparu, que Dieu soit Mort : l’Anima Mundi a été terrassée par les progrès de la Science. S’il est positif que l’homme en ait fini de certaines des chimères dont il se berçait, le problème principal de cette rupture est le désinvestissement des profondeurs de l’être. En effet, même quand les techniques se perfectionnaient au cours de son histoire, l’homme savait auparavant transformer les images par lesquelles ses Archétypes s’exprimaient. Les pratiques religieuses et les vécus symboliques changeaient de forme tout en continuant à sous-tendre l’expérience humaine ; or il semble que désormais, chez de nombreuses personnes, le domaine du Symbolique, de l’Imaginal, bref de ce qui n’est ni du domaine des sens, ni du domaine de la raison, soit nié.

Jung proposait pourtant une vision apte, ce me semble, à réconcilier l’homme avec son intériorité, et à redonner au monde son merveilleux sans retomber dans l’obscurantisme : l’Unus Mundus. Il s’agit de l’idée selon laquelle il existerait une unité de nature entre matière et esprit, individu et monde. L’Unus Mundus est une réalité unifiée sous-jacente, une toile de fond de la réalité, de laquelle tout procède et vers laquelle tout retourne.
Le Monde Imaginal est ainsi une des modalités d’expression (à côté du domaine intelligible, et du domaine sensible) de l’Unus Mundus.

Nous vivons aujourd’hui pour la première fois dans une nature exorcisée, privée d’âme et de dieux. (…) Les rationalisations du Siècle des Lumières ont bien dépossédé la nature de ses dieux périmés mais ont laissé en jachère les facteurs psychiques qui leur étaient liés, comme par exemple la suggestibilité, l’absence d’esprit critique, la crainte, le penchant à la superstition et aux préjugés ; en bref, tous ces facteurs qui peuvent contribuer à transformer un individu en « possédé » et se jouent de son âme. Quand la nature gît devant nous, dépouillée de l’âme qui l’habitait, les facteurs et conditionnements psychiques qui, auparavant, créaient les démons demeurent tout aussi actifs qu’ils l’étaient. Ils n’ont en réalité pas disparu pour autant, ils n’ont fait que changer de forme : ils sont devenus des puissances psychiques agissantes

Carl Gustav Jung, « Après la catastrophe », in Aspects du drame contemporain

Une psychanalyse prend ainsi en compte cette dimension imaginale : par les contenus des rêves, la symbolisation des évènements vécus lors de la cure, l’analysant reconstitue son histoire personnelle avec l’aide de son analyste ; avec l’aide de son thérapeute il se reconnecte à l’origine de la beauté du monde, au monde des symboles et à son intériorité sans risquer de tomber dans la folie ou le désenchantement.


Que pensez-vous du concept de Monde Imaginal ? Parlons-en en commentaire !

Si vous souhaitez apprendre petit à petit à entrer en contact avec votre intériorité, et comprendre les symboles qui agissent en vous, prenez rendez-vous dès aujourd’hui ! Je serais heureux de vous aider !

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